L'éveil d'un loup noir

Le soleil venait de disparaître derrière l'horizon lorsque Skorg s'éveilla. Il ne pouvait dire exactement combien de temps il avait dormi, et mit un moment à se rappeler où il était. Il sentait de nombreuses odeurs familières qui éveillaient en lui le souvenir du dolmen. Lorsqu'il trouva enfin le courage d'ouvrir les paupières, ses yeux le lui confirmèrent. Ses souvenirs lui revinrent en mémoire par fragments désordonnés, mais qu'il remit en ordre rapidement.

Il se rappelait avoir étudié pendant de nombreuses heures les potentielles capacités magiques des pierres dont le dolmen était constitué, juste avant de tomber de fatigue. Mais à présent, il se sentait reposé ; alors, il se prépara mentalement à se lever, se leva, bailla, s'étira longuement, et prit soudain conscience qu'un autre loup l'observait depuis un long moment. Cela le surprit, mais il s'efforça de ne rien en laisser paraître : la perspective d'avoir un peu de compagnie n'était pas pour lui déplaire.

Skorg se dit qu'il devait déjà avoir vu Yesaag en compagnie des jeunes louveteaux de la meute. Son odorat lui révéla qu'il semblait légèrement plus âgé que lui. Il essaya de surmonter sa timidité en prenant un air digne et solennel, tout en espérant ne pas dire de bêtises qui pourraient fâcher le loup et mettre fin prématurément à ce début de relation. [lol le style trop lourd c'est le mien c'est normal] Il était décidé à bien se faire voir du loup, et irait jusqu'au bout pour cela.

"Bonsoir, Yesaag, nourrice de la meute des Avaniens. Je m'apelle Skorg, je suis garde et je suis né dans cette meute. Je suis euh... votre serviteur."

Il s'inclina et prit un air gêné. Peut-être avait-il déjà fait une gaffe. Il s'autoflagella mentalement. Et comme si cela ne suffisait pas, il entendit son ventre réclamer son dû par un long gargouillement...
*classe... ca commence bien*

Le soleil n'était maintenant plus qu'un souvenir se réduisant à une mince bande violet sombre posée sur les collines, dans le lointain. Les yeux du jeune loup s'habituaient peu à peu à l'obscurité et passaient en vision nocturne. À présent, ses pupilles atteignaient presque la taille de ses iris bleutés.

Skorg fut soulagé d’entendre que Yesaag n’était pas son supérieur, et plus encore de l’entendre proposer d’aller chasser. La faim le tenaillait au plus haut point. Et puis, en plus d’être une nécessité, la chasse était pour lui une véritable passion. Même lorsqu’il ratait son coup, ce qui arrivait souvent, l’excitation le faisait accéder à un niveau supérieur de conscience dont l’effet était comparable à celui d’une drogue. Par contre, son nouvel ami n’avait pas l’air très sûr de lui. Mais bon, cela importait peu, il fallait au moins essayer. Et puis, les chances de réussite étaient toujours meilleures à deux que seul.

- D’accord. Je suis prêt. Oui, parce que pour ce qui est de la chasse, je suis toujours prêt…

Il se pourlécha les babines avec insistance, une lueur de folie apocalyptique dans le regard, anticipant le moment où il pourrait enfin manger. Si un lapin était passé par là et avait vu une telle expression sur le visage du loup, il serait resté figé de terreur. Et n’aurait pas tardé à se faire dévorer.
Un léger souffle de vent vint ébouriffer les longs poils de Skorg, l’invitant à l’aventure. À présent, il ne pouvait plus résister à l’appel de la liberté. Les grands arbres qui entouraient la clairière semblaient lui faire signe d’approcher, et de venir faire la fête avec eux. Il écouta attentivement les sons délicats qui provenaient du fin fond de la forêt, et aiguisa son flair. Parmi les dizaines de senteurs qui parvenaient à ses récepteurs olfactifs, il en trouva une qui l’intéressait particulièrement. Il avait de la chance. D’habitude, il mettait un certain temps avant de tomber sur l’odeur d’une proie.

- Il y a quelque chose d’intéressant, par là. On y va ?

- D'accord, alors je préfère te le dire tout de suite, c'est pas une proie facile. D'ici, il me semble que c'est un sanglier, mais les effluves sont très faibles...

Skorg partit directement au trot, Yesaag sur ses talons. L'approche discrète ne faisait pas partie de ses méthodes, en tout cas pas pour ce genre de proie. La forêt était surtout composée de résineux, étant donné qu'ils se trouvaient dans une région froide. Quelques branches basses leur barrèrent le chemin au début, mais elles laissèrent bientôt place à de magnifiques troncs en forme de colonnes disposés assez régulièrement et qui montaient haut aux-dessus d'eux. Le sol mou, humide et recouvert d'épines, étouffait le bruit de leurs pas aussi efficacement qu'un tapis de mousse. La lumière des étoiles ne parvenait pas à percer l'épaisseur des branches hautes, si bien que même leurs yeux de prédateurs leur permettaient à peine de distinguer vaguement les contours des arbres.

Soudain, Skorg se prit un arbre en pleine tronche. Il ne l'avait pas vu venir, il faisait tellement sombre... cela l'arrêta net et des étoiles se mirent à danser devant ses yeux. Le temps de reprendre ses esprits, Yesaag l'avait dépassé, et s'était arrêté un peu plus loin.

"Heureusement que les loups ont le crâne solide", se dit-il en se massant le front à l'aide de sa patte avant.

Ce fut alors qu'il remarqua que quelque chose avait bougé à l'extrême limite de son champ de vision encore perturbé par les petites étoiles.

À ce moment, Skorg regretta d'avoir décidé de prendre cet animal en chasse. Déjà qu'en temps normal, c'était pas évident à tuer, dans le cas présent ils n'était que deux ; de plus, la bête était d'une taille particulièrement impressionnante et il s'agissait d'une mère qui, comme toutes les mères, protégeait ses petits. Il avait beau avoir l'habitude, cette situation provoquait toujours chez lui, en même temps qu'une intense exaltation, une peur viscérale.
Il fallait réagir vite. Le moment n'était pas propice à la réflexion.

- Yesaag, je crois que c'est raté pour l'effet de surprise, dit-il avec précipitation. On va le prendre en tenaille : toi sur sa droite et moi sur son flanc gauche. Compris ?

Ayant tourné son regard bleu électrique vers l'autre loup, Skorg ne se rendit pas tout de suite compte que le sanglier avait commencé à les charger. Il lui fallut une seconde pour réaliser la gravité de la situation ; c'était une seconde de trop. Les lourds sabots de l'énorme animal martelèrent le sol à un rythme de plus en plus rapide, l'arrachant au prix d'une force incroyable de l'immobilité dans laquelle il se trouvait. Le loup noir resta paralysé de frayeur jusqu'au moment où, par miracle, il réussit à commander à ses pattes de le tirer de là. Mais il avait trop tardé : à peine avait-il commencé à bondir, qu'il sentit un choc violent aux pattes arrière, ce qui le fit tournoyer en l'air et le propulsa face contre terre. Heureusement, la couche d'aiguilles de sapin et d'humus amortit efficacement le choc.

- Punaise, c'est pas mon jour ! J'en prends plein la gueule, aujourd'hui.

Tant bien que mal, il réussit à ignorer la douleur et à se relever. Apparemment, il n'avait rien de cassé, mais sa tête avait recommencé à lui tourner de plus belle. Puis, il essaya de se repérer. Il ne voyait plus ni le sanglier, ni Yesaag. Mais où avaient-ils donc bien pu disparaître ? Il regarda successivement les petits marcassins, qui se blottissaient les uns contre les autres en tremblotant, le regard rivé sur les crocs étincelants du prédateur, et la tranchée que la masse de viande avait creusée en le chargeant. Ce fut alors qu'il entendit un cri dans le prolongement des traces. Son compagnon avait sûrement tenté de prendre la proie en chasse sans lui. Sans hésiter, il fonça en direction des grognements étouffés par la forêt qui indiquaient sa position et celle du sanglier.

- Hein ? Quoi ? Ah, euh... oui, d'accord. Faisons comme ça.

Deux chocs à la suite, c'était pas bon pour la tête de Skorg. Mais tant que ses pattes fonctionnaient, tout allait bien. En fait, il n'avait même pas besoin de cerveau. Peut-être même n'en avait-il pas, qui sait ?
Ils s'élancèrent donc au-devant de l'énorme proie, côte à côte, ce qui était une technique totalement inédite pour des loups. Mais quand il s'agissait de foncer, le garde était toujours prêt. Comme prévu, le sanglier les chargea. Leurs pattes sentaient les vibrations qu'il provoquait en labourant le sol de ses lourds sabots. Skorg avait rarement vécu de partie de chasse aussi excitante. Et effrayante : quand il jeta un coup d'œil en arrière, ce qui n'était d'ailleurs pas très prudent, il vit la bête se rapprocher.

- Elle gagne du terrain ! s'écria-t-il. Plus vite !

Mais Yesaag était déjà essoufflé. De plus, il y avait un gros arbre juste devant, ce fut donc le moment que celui-ci choisit pour lancer son ordre. Mais bien sûr, c'était trop tôt : la colossale masse de muscles évita le tronc de justesse et choisit une nouvelle fois de poursuivre le loup noir.

"Aïe ! se dit celui-ci. Cette fois, j'ai pas intérêt à me planter."

Son endurance lui permettait de parcourir de longues distances à un rythme soutenu, mais pas au triple galop. Il commença à se demander comment cette course effrénée allait se terminer. Preuve qu'il avait encore un cerveau.
Les arbres défilaient à une telle vitesse autour de lui qu'il avait du mal à les éviter. Il avait presque l'impression de voler juste au-dessus du sol. C'était grisant. Les humains, qui couraient à une allure d'escargot, ne pouvaient pas connaître ce sentiment. Parfois, il devait sauter par-dessus un buisson de ronces ou un ruisseau qui lui barrait la route, et cela le ralentissait, alors que le sanglier défonçait tout sur son passage sans être gêné plus que ça.
Tout à coup, un grondement lointain et continu se fit entendre. Que se passait-il ? De quoi pouvait-il donc bien s'agir ? Sans ralentir, il essaya de deviner. Mais ce qui l'inquiétait, c'est que cela semblait se rapprocher de manière plus que préoccupante... il évita de justesse un tronc, plus deux... ce fut alors qu'il comprit. La scène lui sembla se dérouler au ralenti. Les arbres masquaient une immense chute d'eau, et il se dirigeait vers le bord de la falaise qui surplombait un lac creusé au fil des siècles par les eaux tumultueuses. En d'autres termes, il fallait piler. C'était plutôt douloureux, mais il n'avait pas le choix : il détestait se mouiller. Il planta donc ses quatre pattes dans le sol, ferma les yeux et serra les dents, priant pour qu'il ne termine pas sa course au fond du lac... la glissade semblait ne jamais devoir finir...
Enfin, tout s'arrêta. Le sol ne s'était pas dérobé sous ses pattes, mais il se méfiait : peut-être son cerveau lui jouait-il encore des tours. Prudemment, il ouvrit un œil, puis l'autre. Tout allait bien : il se trouvait juste au bord de la falaise mais n'était pas tombé.
Ce fut alors que le sanglier arriva, tout soufflant et bavant de rage. Skorg n'eut même pas le temps de se retourner : l'animal faisait trembler la terre si fort que la partie de la falaise sur laquelle il se trouvait se détacha.

"Super".

La chute dura une bonne dizaine de secondes, après quoi il heurta l'eau si violemment qu'il perdit connaissance. De son côté, la mère sanglier avait continué tout droit, et avait donc suivi le loup dans sa chute.
Quelque temps plus tard, il n'aurait su dire combien, le jeune loup se réveilla sur une berge recouverte de galets. Yesaag était en train de lui lécher le visage.

Skorg avait un peu d'eau dans les bronches, donc il se débarrassa en toussant avec force.

-Yesaag, dit-il entre deux quintes de toux, mon pote, tu m'as sauvé la vie. Merci.

Il lui posa la patte sur l'épaule d'un air très solennel. Le loup noir n'était pas souvent reconnaissant envers ses congénères, mais en l'occurence, il se sentait obligé de remercier Yesaag. Ce qui n'était pas très gentil, mais de toute façon, Skorg ne se préoccupait guère d'être gentil. Soudain, il se remémora ce pourquoi il était là.

-Et le sanglier, il est où ?

Il se retourna, et il le vit, étendu de tout son long sur l'un des morceaux du rocher qui était tombé, exactement comme s'il dormait profondément, à ces détails près que son ventre avait littéralement éclaté, projetant les tripes tout autour du corps, et qu'un flot de sang continu se déversait dans la rivière. Skorg prit son petit air malicieux.

- Je crois bien qu'on l'a eu. Pas d'une façon très classe, d'accord, mais on l'a eu. Héhé ! C'est bizarre, je me sens parfaitement revigoré, tout d'un coup. Allez, on se le bouffe ? J'ai une faim de loup.

Ni une, ni deux, il fila vers le cadavre sanguinolent, escalada tout en souplesse le rocher sur lequel il s'était écrasé, et l'attaqua littéralement, arrachant d'énormes morceaux de chair saignante. Il était tout content.

Le loup noir entendit son congénère lui parler de son "nouveau trône". Il sourit avant de répondre par une autre question :

- Parce que tu en avais un ancien ? Oh, laisse tomber, je me fous de toi. Mais c'est vrai qu'il est beau, celui-ci. Pas très facile à transporter, par contre. Puis, au bout d'un moment, les mouches et les vers, ça doit démanger.

À nouveau, il lui décocha un rictus qui pouvait passer pour un sourire si l'on faisait abstraction de la taille des dents. Yesaag le regarda d'un air ahuri. Il devait se demander comment ce loup pouvait avoir un humour aussi macabre. Finalement, il se secoua la tête pour se changer les idées. Le loup noir, lui, souriait toujours. Son ami sembla avoir une révélation. Une idée avait jailli dans son esprit. Enfin, il lui en fit part : apparemment, il avait des scrupules à manger autant alors que le reste de la meute mourait littéralement de faim. Il dut admettre qu'il n'avait pas tort, mais comment transporter autant de viande sur une telle distance ? À moins que, comme son ami le disait, leurs hurlements soient assez puissants pour parvenir jusqu'au reste de la meute.

- Viens. On va appeler les autres, mais pour ça, il faut trouver un point en hauteur. Suis-moi !

Seulement, la paroi était bien trop abrupte pour qu'ils puissent la grimper directement. Ils devaient trouver un endroit où la pente serait suffisamment douce pour leur permettre de remonter sur la falaise.
Mais à peine avaient-ils fait quelques foulées de la démarche souple propre aux membres de leur espèce, que quelque chose d'énorme apparut droit devant, dévalant la pente à toute vitesse en faisant dégringoler une cascade de pierres et de poussière. Une fois arrivé à leur niveau, la chose poussa le grondement le plus terrifiant que Skorg ait jamais entendu. Il sentit ses poils se hérisser tout le long de son échine et s'arrêta net. C'était une bête absolument gigantesque, sans doute attirée par l'odeur du gibier fraîchement tué.

Un ours !

À deux contre un tel animal, ils n'avaient aucune chance. Ils devaient le contourner d'une manière ou d'une autre.